Musée figurant parmi les plus importants musées de France de part la richesse de ses collections, le musée Calvet qui porte le nom de son fondateur, célèbre en 2011 les deux cents ans de sa création. Une occasion d'évoquer son passé, les actions présentes et celles à mener, avec Sylvain Boyer, conservateur en chef du Patrimoine et directeur du musée.
Le musée Calvet célèbre cette année le bicentenaire de sa création. A-t-il dès le départ été installé dans ce superbe hôtel de Villeneuve-Martignan ?
Non, cet hôtel particulier a eu une autre destinée avant
d’accueillir le musée.
Joseph-Ignace de Villeneuve-Martignan commande la construction
de cet hôtel particulier à Jean-Baptiste Franque en 1741.
Mais Villeneuve ne s’entendait pas avec sa femme et ils se sont séparés.
Une fois les enfants élevés, il a décidé de mener la belle vie en Italie. Elle
est donc repartie vivre chez sa mère et l’hôtel a été loué. Mais leur fille,
Pauline, y a vécu.
L’hôtel particulier a été vandalisé sous la Révolution. Les
cheminées ont été vendues, ainsi que les glaces, les trumeaux, car les
Villeneuve étaient considérés comme des émigrés.
Puis il a été réquisitionné par la République, ensuite vendu aux
Deleutre, des négociants en soie. Et de 1802 à 1833, l’hôtel est devenu leur
habitation mais aussi leur magnanerie et leur atelier. Mais les Deleutre ont eu des ennuis d’argent et ils ont vendu
l’hôtel particulier à la ville d’Avignon. Celle-ci a
installé le musée qui a ouvert à cette adresse en 1835.
Le musée est
antérieur ?
Oui, le musée existait bien avant ! Il a occupé de 1810 à
1835 l’emplacement de l’actuel Office de Tourisme, l’abbaye Saint-Martial. Mais
le lieu s’est avéré bien trop exigu pour accueillir toutes les
collections !
En fait, la naissance officielle du musée date du 2 avril 1811,
date à laquelle Napoléon I a autorisé par écrit la ville à accepter la donation
d’Esprit Calvet. Le décret est d’ailleurs exposé actuellement au musée, dans
les salons restaurés ; il est sorti tout spécialement des Archives
nationales pour le bicentenaire.
Alors, justement,
parlez-nous un peu d’Esprit Calvet
Calvet est né en 1728 et décédé en 1810. Il habitait rue des
Grottes, dans le quartier de la Balance. Il était médecin, mais sa fortune
était petite. Pourtant, il l’a consacré entièrement à sa collection. Il a vécu dans
l’ombre de sa mère, une forte
personnalité, il n’a pas eu de femme, pas d’enfant. Il a vécu à travers sa
collection.
L’idée de faire de sa
collection un musée vient-elle de lui ?
Oui, très tôt il a eu la volonté de réaliser un musée.
Et puis, dans son testament, il a ajouté un fonds de dotation à
sa collection pour donner, après sa mort, les moyens financiers de la
gérer ; c’est rarissime en France et précurseur. Il est encore aujourd’hui
très rare qu’un musée bénéficie
de cela.
Les hommes qui, par la suite, ont fait don de leurs collections,
on souvent agit de même. Marcel Puech, par exemple, a
donné sa maison en plus de sa collection.
Cette collection, vous
pouvez nous la décrire ?
La collection d’Esprit Calvet est faite de plusieurs éléments.
C’est tout d’abord une Bibliothèque. Esprit était un érudit qui voulait
rassembler le monde, rassembler les éléments de la connaissance du monde. Puis
il y a les monnaies et les médailles, très importantes pour la connaissance de
l’Antiquité. Le Médailler, le deuxième de France, après celui du Roi,
disait-on, sans doute avec un peu d’excès. Il comporte plus de 10 000
pièces.
Et tout le reste dont l’antiquité égyptienne, l’Egypte musulmane
du XIVe siècle aussi, comme on peut le voir actuellement dans l’exposition
Fastueuse Egypte qui se tient au musée. Calvet avait commencé à collectionner
des pièces égyptiennes bien avant l’expédition d’Egypte. En tant que médecin,
il entretenait une certaine familiarité avec cette civilisation puisque les
momies servaient à faire des médicaments.
Il y a aussi des minéraux, des fossiles... C’est une collection
sans préjugés, dans l’esprit des Lumières.
Il est surprenant de
constater que l’une des pièces majeures de sa collection égyptienne, provient
du sol vauclusien !
Il utilisait des rabatteurs et des correspondants pour enrichir
sa collection. Mais parfois il faisait de l’échange ; ce fût le cas avec
les Doctrinaires de Caderousse, par exemple. Il s’est déplacé pour les soigner
et s’est fait payer avec le Zeus-Amon qui se trouvait dans le monastère.
Les donateurs ont été
nombreux par la suite, il s’agit presque d’une tradition pour les Avignonnais de
faire don de sa collection au musée
Calvet ?
Il n’y a pas eu une année sans donation, jusque dans les années
1950 !
Tous ces dons en font un musée qui, en qualité et en quantité,
possède une collection vraiment très riche. Il y a tout de même 1800 tableaux,
3000 dessins, 300 sculptures, les objets des collections archéologiques qui se
comptent par dizaine de milliers. Il ne faut pas oublier les 6000 pièces de
ferronnerie de la collection Biret, les 20
000 médailles et monnaies. C’est remarquable compte-tenu de l’importance de la
ville, Avignon est somme toute une petite ville.
Parlez-nous un peu de ces
donateurs et de leurs collections
Eh bien, par exemple, la collection de Marcel Puech est une
chose extraordinaire. Il y a dix ans qu’il est décédé, dix ans que la
collection est donc en possession du musée et on y découvre toujours un nouveau
chef-d’œuvre.
D’où la nécessité de créer de nouvelles salles d’exposition car
les oeuvres en réserve s’oublient.
La Collection Biret attend aussi en réserve. Elle sera exposée au plus tard en 2016, pour les
cent ans de la donation. D’ici là nous l’aurons restaurée.
Noël Biret était un fameux ferronnier avignonnais qui est
l’auteur de la grille d’entrée de la cour d’honneur, en 1888. La Fondation
Calvet l’a restauré en 2009. Il avait prévu de
transmettre sa collection à son neveu. Mais celui-ci étant mort à la
guerre de 1914, il l’a donné de son vivant au musée.
On ne peut parler de tous ici, mais il faut aussi évoquer Horace
Vernet qui a donné La mort de Bara de
David, tableau qui non seulement est un chef-d’œuvre mais qui est aussi
extrêmement symbolique pour la période de la Révolution. Il l’avait acheté à la
vente Pourtalès et en a fait
don au musée en 1846.
Quelles sont les grandes
périodes du musée Calvet ?
Sans nul doute celle d’Esprit Requien (1788-1851), période où il
fréquentait Vernet et Mérimée. Il a porté le musée au début du XIXe siècle.
Puis, jusqu’à la guerre de 1914, le musée à vécu sur les bases qu’il avait
posé. Il y a eu ensuite Augustin Deloye et Joseph Girard, de grands
conservateurs qui ont structuré le musée, tels qu’on le concevait sous la IIIème République. Deloye a publié le premier
catalogue et Girard, sous l’Occupation, a fait protéger les collections en les
déménageant, notamment à Murs.
De 1950 aux années 80, il y a eu un désintérêt général pour les
musées et à Avignon, c’était le festival qui comptait.
A partir de 1985, avec l’impulsion de la mairie et du nouveau
conservateur, Marie-Pierre
Foissy-Aufrère et la volonté de l’Etat aussi, une nouvelle impulsion a été
donnée. Depuis, nous poursuivons sur cette lancée.
Le musée a été délaissé durant quarante
ans ?
En 1985, le musée était en piteux état. Une partie du toit était
effondrée, le jardin était envahi par les mauvaises herbes. Il avait subi un
désintérêt presque total dans les années soixante-dix. Comme un peu tous les
musées en France d’ailleurs.
Puis à partir de 1984-85 il ya eu un redressement. Le premier
projet de rénovation date de 1987. Le musée était encore un musée-bibliothèque
et à cette date la Bibliothèque a été séparée et installée à Ceccano.
Le musée a fermé de 1990 à 1993 pour refaire la toiture et le
chauffage. Les travaux ont ensuite été interrompus en 1993 ave le départ du
conservateur. La direction a alors été assurée par Odile Cavalier,
conservatrice toujours en charge des Antiquités. Puis Pierre Provoyeur est
arrivé, et a rouvert partiellement le musée en 1996.
La dernière tranche du projet de rénovation prévoit la création
d’un Auditorium, au bout
à l’extrémité des salons restaurés. Nous pourrons
alors mieux accueillir les cours de l’Ecole du Louvre. Sont aussi prévues une
salle d’exposition temporaire, l’ouverture d’une salle dédiée à la Préhistoire,
d’une salle qui permettra d’exposer la Collection Biret et la restauration de
l’hôtel de Montlaur.
L hôtel de Montlaur ?
Il s’agit de l’hôtel qui se situe à l’arrière du musée Calvet.
Il avait été acheté dans les années 1920 par la mairie et il est constitué
d’une cour et de quatre étages, c’est un hôtel classique qui ne possède pas de
grands décors ce qui est beaucoup moins contraignant pour l’aménagement.
A l’origine, il s’agissait de l’hôtel de Quinson et Quinson était le
protecteur de Joseph Vernet, son premier mécène, celui qui lui a permis de
partir à Rome.
A quel usage sera-t-il
destiné ?
On y exposera les dessins du fonds Puech et ceux de Joseph
Vernet qu’il avait réalisé pour sa série sur les Ports de France, donnés au
musée par son petit-fils Horace. Sont aussi prévus des salles pour des
expositions-dossiers et pour les ateliers pédagogiques.
Les dernières
restaurations sont celles des
trois salons du rez-de-chaussée, on peut dire que les peintures sont encore
fraîches ?
Oui, leur restauration vient tout juste d’être achevée, il aura
fallu attendre vingt ans pour restaurer ces trois salons dits de musique, de
compagnie et de curiosités qui ont été réalisés entre 1741-1754.
La restauration a nécessité dix-huit mois de travail coordonné
par Didier Repellin, architecte en chef des Monuments historiques et a été mené,
pour ce qui est des menuiseries par Michel Edoli, menuisier à Sarrians, agréé
Monuments Historiques.
Dans le salon de musique, les couleurs d’origine du plafond on
été retrouvées et reprises et c’est une dorure « Versailles » qui a
été employée sur les moulures et les cartouches.
Le salon de compagnie est d’un bleu subtil et il possède un beau
décor rocaille.
Dans le dernier salon, nous allons reconstituer le Cabinet de
curiosités tel qu’il en existait au XVIIIe, en mémoire de l’Homme des Lumières
qu’était Esprit Calvet bien sûr.
C’est Pierre Bondon qui a réalisé les gypseries. Lié aux Péru et
aux Franque, il a aussi travaillé à la Chapelle des Pénitents noirs. Il était
issu d’une famille d’artisans avignonnais.
La finesse du décor est incroyable, je pense notamment au pelage
des dragons, même si ces détails se voient mal d’en bas.
Et vous Sylvain Boyer , quand êtes vous arrivé au musée et
quel est votre parcours ?
Je suis arrivé au musée Calvet en 1998, en tant que
conservateur-adjoint. J’étais en poste auparavant en Picardie, au musée
d’Amiens. Je suis devenu conservateur en chef du Patrimoine et j’ai pris la
direction du musée en 2005. Sinon, j’ai
fait mes études d’histoire et de sciences politiques à Montpellier et à Paris,
j’ai passé le concours de conservateur en 1992 et j’ai commencé ma carrière à
l’Inspection générale.
Amiens ! Le grand
nord ! Avignon est-elle plus agréable ?
Je m’y trouve bien, c’est sûr, d’autant que suis né à Béziers.
Et je suis très attaché à ce musée. On y redécouvre tous les jours des pièces
majeures, comme par exemple le Zeus-Amon de Caderousse des dessins parmi ceux du
fonds Puech, ou encore la tombe trouvée par Sylvain Gagnaire dans le quartier
de la Balance, les pièces coptes, un morceau de statue représentant une reine
d’Egypte, le guerrier de Vachères – c’est la Fondation Calvet qui a mené les
fouilles à Vachères, La Tarasque de Noves.
Et maintenant quel est
l’avenir du musée ?
Eh bien, il a eu la modernisation du musée, l’informatisation,
la numérisation, la création du site internet, l’aménagement de nouvelles
réserves par la Ville que nous partageons avec la Collection Lambert, à
Saint-Chamand.
Et la restauration des œuvres toujours en chantier, selon un
plan bien établi : nous avons commencé par les pièces grecques, puis
nordiques, puis égyptiennes avec la restauration des papyrus notamment, viendront ensuite les
sculptures. Et il reste la collection Biret.
L’avenir du musée, c’est son public et certainement le travail
avec les scolaires et les étudiants d’Hypokhâgne et Khâgne du lycée Mistral (le
projet Musetrek lancé par les Amis du Musée), et ceux de l’Université et de
l’Ecole des Beaux-Arts.
Propos recueillis par Olivia Gazzano
Paru dans Prosper, le
Magazine culturel, Vaucluse, Avignon, Drôme provençale, Alpilles. N° 26,
juillet, août, septembre 2011.